L’importance d’un programme complet d’éducation sexuelle en milieu scolaire

23 août 2018

En 2015, l’Ontario a décidé d’enseigner aux enfants des niveaux primaire et secondaire une version « modernisée » de son programme d’éducation sexuelle[i]. Le 11 juillet 2018, respectant une promesse électorale, le Premier Ministre Doug Ford a annoncé le retrait de ce programme mis à jour et a imposé aux institutions scolaires un retour au programme d’éducation sexuelle datant de 1998, dès la rentrée scolaire de 2018. Face à de nombreuses protestations, y compris de jeunes, de parents, de professeurs et de conseils scolaires, le gouvernement a tenté de temporiser l’annonce, sans toutefois nommer clairement les éléments qui seront ou ne seront pas enseignés à la rentrée. Le gouvernement a tout de même annoncé que le retour au curriculum de 1998 ne serait que temporaire en attendant une mise à jour faite après une large consultation.

La version 2015 du programme ne faisait pas l’unanimité. Plusieurs groupes lui reprochaient, en particulier, de parler de mariage entre personnes de même sexe, de l’identité de genre et de masturbation. Il n’est pas clair si ces thèmes seront toujours dans le curriculum pour la rentrée de septembre 2018. Mais chose certaine, un retour à l’ancien programme de 1998 (où le mariage entre conjoints de même sexe n’était pas encore autorisé) ne serait-ce qu’en partie ou de façon temporaire, ne prépare aucunement les enfants et les jeunes à la réalité d’aujourd’hui.

Action Ontarienne contre la violence faite aux femmes (AOcVF), un regroupement ontarien, francophone et féministe, d’organismes et de programmes dédiés à la lutte contre la violence faite aux femmes et aux filles s’est posé les questions suivantes : pourquoi un programme complet d’éducation à la sexualité est important et que doit-il contenir?

En février dernier, l’UNESCO a publié une version révisée du document intitulé Principe directeurs internationaux sur l’éducation à la sexualité. Ce document plaide en faveur d’une éducation sexuelle complète afin de promouvoir la santé, le bien-être, le respect des droits de l’homme et l’égalité entre les sexes. Il spécifie que l’éducation à la sexualité ne doit pas se limiter aux seuls enseignements de la biologie du système reproducteur et des infections transmissibles sexuellement (ITS), mais qu’elle doit inclure l’enseignement et l’apprentissage des aspects cognitifs, émotionnels, physiques et sociaux de la sexualité. Cela, dans le but que les jeunes puissent prendre des décisions éclairées sur leurs relations et leur sexualité, tout en les aidant à s’y retrouver dans un monde où les violences faites aux femmes et aux filles et les violences basées sur le genre, les inégalités de genre, les grossesses non-désirées et les infections sexuellement transmissibles présentent des risques graves pour leur santé et leur bien-être[ii].

En Ontario, plusieurs groupes d’opposants à ce type de programme complet d’éducation sexuelle en milieu scolaire évoquent que cet aspect de l’éducation est l’unique responsabilité des parents. Or, la recherche démontre que pour être efficace, l’éducation sexuelle, doit en plus d’être abordée par les parents, être jumelée à l’enseignement en milieu scolaire[iii].

L’actualité des derniers mois nous montre bien qu’il est important d’aborder, dès le plus jeune âge, les questions liées à l’identité de genre, à l’orientation sexuelle, aux relations saines et au consentement. Que l’on pense au taux élevé de suicide chez les jeunes et en particulier parmi la communauté LGBTQ[iv] ou le nombre de femmes et de filles victimes d’agressions à caractère sexuel, déclarées ou non, nous sommes bien forcés d’admettre que les défis auxquels les jeunes font face sont multiples et que l’école a un rôle à jouer pour les aider à y voir clair. Quoi que puissent en penser plusieurs, il est démontré que d’aborder la sexualité sous son aspect biologique, social et émotionnel n’incite pas les jeunes à avoir des relations sexuelles plus tôt, ne favorise pas les relations homosexuelles et ne fait pas en sorte de créer de la confusion chez les enfants. Il permet plutôt d’aborder des questions que les jeunes se posent, peu importe l’éducation qu’ils reçoivent en ce sens à la maison.

Un programme d’éducation sexuelle doit aborder des éléments essentiels. Tout d’abord, il doit aborder les notions de relations saines et de consentement. De nombreuses filles et femmes sont encore aujourd’hui victimes d’agression à caractère sexuel ou dans des relations amoureuses abusives. La prévention des agressions à caractère sexuel et de la violence conjugale doit commencer dès le plus jeune âge. En effet, nous sommes convaincues que les enfants et les jeunes qui entendent parler ouvertement de relations saines et d’intimité sauront reconnaître les situations d’abus et d’exploitation sexuelle. Ils et elles seront aussi mieux outillés pour demander plus rapidement de l’aide au lieu de vivre des années avec de lourds secrets. L’éducation doit, entre autres, couvrir l’importance du respect de ses propres limites et de celles des autres et doit amener les enfants et les jeunes à se questionner sur les comportements acceptables et ceux inacceptables dans une relation amoureuse. On doit également revenir sur l’importance de soutenir les survivantes de violence et de responsabiliser les agresseurs.

L’éducation sexuelle doit aussi être adaptée au contexte social. En 2018, la réalité est que les jeunes et les enfants sont exposés à beaucoup d’information, en particulier sur les réseaux sociaux et les sites internet. Or, un programme de 1998 ne peut répondre aux besoins actuels puisqu’à cette époque l’accès aux médias électroniques était très limité. La pornographie, l’exploitation sexuelle, la prostitution, pour ne nommer que ceux-là, s’affichent ouvertement dans le monde virtuel et ont des impacts bien réels pour les personnes qui en sont les victimes. On ne peut pas non plus oublier la cyberviolence dont sont victimes les filles et les femmes. On doit aborder avec les enfants et les jeunes les questions du sextage et de la diffusion de photos dénudées, ainsi que de l’intimidation, du chantage et du harcèlement sur Internet. Un programme d’éducation sexuelle ayant pour objectif de répondre aux réalités et besoins d’aujourd’hui doit tenir compte de ce à quoi les enfants et les jeunes sont confrontés et doit parler d’un usage sain des nouvelles technologies.

AOcVF croit qu’un programme complet d’éducation sexuelle en milieu scolaire doit également aborder les sujets de respect, de tolérance et d’acceptation des différences. Afin de favoriser le développement sain et équilibré de tous les enfants et les jeunes, on doit parler d’identité de genre, d’expression du genre et d’orientation sexuelle. L’éducation doit aussi permettre la remise en question des stéréotypes de genre et de réfléchir sur l’hypersexualisation.

Comme nous le disions précédemment, l’aspect médical et biologique de la sexualité n’est pas à négliger. Ne serait-ce qu’au niveau de la prévention des ITS, nous savons que les besoins sont encore nombreux et bien réels. Plusieurs jeunes croient, à tort, que le sida est guérissable[v] et ignorent que le taux d’infections aux ITS chez les 15-24 ans continue d’augmenter[vi].

Nous pensons que chaque enfant, adolescent et adolescente a le droit d’avoir une éducation sexuelle complète. En tant que société, il est de notre devoir de leur donner accès à cette éducation. Il est donc impératif que l’Ontario se dote d’un curriculum complet et adapté aux besoins actuels.

[i] Le nom complet est : Curriculum d’éducation physique et santé

[ii] UNESCO. (2018). Principe directeurs internationaux sur l’éducation à la sexualité, repéré à : http://unesdoc.unesco.org/images/0026/002608/260840f.pdf

[iii] UNESCO. (2018). Principe directeurs internationaux sur l’éducation à la sexualité, repéré à : http://unesdoc.unesco.org/images/0026/002608/260840f.pdf

[iv]Chamberland, L. et I. Bédard. (2013). Les jeunes des minorités sexuelles: le risque suicidaire. Revue du Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales, les discriminations et les pratiques alternatives de citoyenneté (CREMIS), vol. 6, no 1, p. 8-12. Repéré à : http://www.familleslgbt.org/1463149763/Chamberland%202013.pdf

[v]Conseil des ministres de l’Éducation (Canada). (2003). Étude sur les jeunes, la santé sexuelle, le VIH et le sida au Canada. Repéré à https://www.cmec.ca/Publications/Lists/Publications/Attachments/180/CYSHHAS_2002_FR.pdf

[vi]Allen, UD, MacDonald, N et Société canadienne de pédiatrie. (2014). Les infections transmises sexuellement chez les adolescents. Paediatrics & Child Health, Volume 19, Issue 8, 1 October 2014, Pages 434–439. https://doi.org/10.1093/pch/19.8.434

 

 

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