Les victimes ont également des droits qu’il faut respecter

21 février 2018

À la très honorable Beverley McLachlin, C.P., Juge en chef du Canada

En tant que regroupement d’organismes ontariens féministes et francophones qui travaillent à défaire l’oppression vécue par les femmes, Action ontarienne contre la violence faite aux femmes (AOcVF) aimerait réagir au discours que vous avez prononcé à l’occasion de la remise de la médaille G. Arthur Martin samedi dernier.

Tout d’abord, nous partageons votre souhait d’avoir un dialogue ouvert et respectueux sur la façon de concilier le respect des droits de l’accusé et l’écoute des victimes afin d’avoir un système de justice canadien équitable pour tous. Aux côtés de nombreuses survivantes et d’autres organismes, nous demandons d’ailleurs ce dialogue social depuis de nombreuses années, mais nous n’avons pas été entendues jusqu’à maintenant. Face à un système de justice qui les revictimise, beaucoup de survivantes ont fait le choix de dénoncer l’agression qu’elles ont subie sur les médias sociaux, grâce aux mouvements tels que #MoiAussi et #AgressionsNonDénoncées, ou à travers des médias traditionnels. C’est certainement cette prise de parole qui permet aujourd’hui de pouvoir parler du traitement des agressions sexuelles dans le système criminel canadien.

Nous tenons à appuyer vos propos sur l’importance du respect des droits de l’accusé et de la présomption d’innocence. Nous sommes attachées aux principes d’un État de droit qui impose des normes élevées de preuve afin de pouvoir condamner une personne accusée d’une infraction. Comme vous le dites bien, ceci est pour éviter des condamnations arbitraires et injustes. Cependant, dans un État de droit, il ne faut pas non plus oublier que les victimes ont également des droits qu’il faut respecter.

Malheureusement, le secteur de la justice est encore imprégné par des mythes qui entourent les agressions à caractère sexuel. On le constate facilement à travers les propos de certains juges, les interrogatoires devant la cour et par le nombre très élevé de plaintes classées comme étant non fondées par la police. Vous semblez considérer que les victimes d’agression sexuelle ont des attentes irréalistes lors d’un procès criminel. Nous considérons que les différents professionnels et professionnelles ont aussi des attentes irréalistes de la part des victimes : ils veulent des « victimes parfaites », et ne comprennent pas l’impact d’une agression sexuelle sur une victime. Nous pensons qu’une agression sexuelle ne peut pas être vue comme n’importe quelle autre infraction.

Une agression sexuelle a de multiples effets qui affectent les victimes tant au niveau physique, que psychologique et émotionnel. Les conséquences du traumatisme subi, la culpabilité, la peur ou la honte font que souvent les victimes ne seront pas jugées crédibles lors des différentes étapes du système criminel.

Nous soutenons le projet de Loi C-337 visant à instaurer une formation obligatoire pour les juges en matière d’agression sexuelle. Une telle formation permettrait de s’assurer que les juges qui entendent des causes d’agression sexuelle ont reçu la formation nécessaire, tel que recommandé par le Conseil canadien de la magistrature. La formation permettrait notamment de s’assurer que les juges revoient en détail les dispositions du Code criminel et de la jurisprudence relatives aux agressions sexuelles, particulièrement sur le consentement, et qu’ils soient conscientisés aux impacts de ce type d’agression. Nous pensons sincèrement qu’une meilleure compréhension de la réalité des agressions sexuelles n’enlèvera rien au droit de l’accusé d’avoir un procès équitable, mais améliorera grandement le traitement des cas d’agression sexuelle dans le système criminel et favorisera l’accès des femmes à la justice, tel que le stipule l’Article 15 de la Charte des droits et libertés.

Cette formation permettrait de redonner confiance aux survivantes d’agression sexuelle dans le système criminel, surtout si on parvient parallèlement à mieux informer ces dernières sur tout le processus.

Veuillez agréer, la très honorable Beverley McLachlin, l’expression de mes sentiments respectueux.

Maïra Martin
Directrice générale d’Action ontarienne contre la violence faite aux femmes

Retour aux actualités